Rencontre avec l’illustrateur tessinois Timothy Hofmann, symbole du plurilinguisme en Suisse

Article, 28.10.2020

Dans le cadre de la XX Settimana della Lingua Italiana en Tunisie et de l’Open Art Week 2020, l’illustrateur suisse Timothy Hofmann a participé à une exposition collective, La nuova frontiera, organisée par l’Ambassade d’Italie en Tunisie et l’Institut culturel italien de Tunis (IIC Tunisi). Associée à ces manifestations culturelles, l’Ambassade de Suisse en Tunisie a souhaité en apprendre davantage sur cet artiste et sa relation à la langue italienne.

Timothy Hofmann
© Timothy Hofmann

La Suisse est un kaléidoscope d’identités diverses et variées. Le pays compte par exemple quatre régions linguistiques, dont la « Suisse italienne » qui comprend le canton du Tessin et plusieurs vallées du canton des Grisons. C’est cette diversité culturelle que l’Ambassade de Suisse en Tunisie a souhaité célébrer en s’associant à l’Ambassade d’Italie en Tunisie et à l’Institut culturel italien de Tunis pour marquer la XX Settimana della Lingua Italiana en Tunisie ce mois d’octobre. Dans le cadre de cette semaine, l’Ambassade a ainsi soutenu la participation de l’artiste tessinois Timothy Hofmann à l’exposition collective La Nouvelle Frontière, réalisée par Open Art Week et présentée à l’Institut culturel italien de Tunis. Timothy Hofmann y expose un dessin inédit baptisé La Mule, une planche qui nous transporte dans un futur apocalyptique où prime la survie de l’Humanité. 

Ayant grandi à Lugano et suivi une formation professionnelle notamment à Genève, Timothy Hofmann symbolise à lui-même une Suisse plurilingue où l’italien est l’une des quatre langues nationales et où l’italien résonne également dans les rues des villes des autres régions linguistiques. L’Ambassade a saisi l’occasion de sa participation à la Settimana della Lingua italiana en Tunisie pour s’entretenir avec lui notamment sur son parcours, sa relation à la langue italienne, et sa perception du plurilinguisme en Suisse. L’entretien avec Timothy Hofmann a été réalisé par Skype.

  • Un petit mot sur votre parcours ?

À la base, je suis informaticien de formation parce que j’ai toujours été fasciné par le graphisme. Puis, pour diverses raisons, j’ai suivi une formation à la Haute école d'art et de design (HEAD) de Genève. C’était très intéressant car j’ai pu expérimenter différentes techniques, comme la peinture, la vidéo, l’animation, etc. Je suis rentré par la suite au Tessin où j’ai commencé à faire plusieurs choses.

  • Comment avez-vous atterri dans le monde du dessin ?

Petit, j’avais toujours mon crayon à la main. J’aimais tout le temps dessiner et je recopiais ce que je voyais et lisais. Contrairement aux enfants qui arrêtent de dessiner ou de lire des bandes dessinées à partir d’un certain âge, j’ai continué. C’est probablement le syndrome de Peter Pan. Quelque chose que je n’avais jamais abandonné. Petit, je lisais Les Schtroumpfs, puis ça a évolué avec Charlie Brown. J’étais alors fasciné par le format du Comic Strip que je consommais beaucoup. Est arrivé ensuite Calvin et Hobbes de Bill Watterson. Je pense que c’est grâce à lui que j’ai perçu la bande dessinée comme pratique artistique « sérieuse », presque pittoresque. De plus, il était fantastique en aquarelle.

  • Vous parlez italien, français, anglais et un tout petit peu allemand. Et pourtant, les bulles de vos dessins sont en italien. Est-ce un choix ? Y a-t-il des messages que vous ne pourriez transmettre qu’à travers votre langue maternelle ?

En général, le texte est en italien ou en anglais. Cela dépend de la destination. Là, par exemple, pour un projet sur lequel je suis en train de travailler, je me demande s’il deviendra un webcomic ou s’il marchera ou pas en anglais. Mais s’il est destiné à aller sur Internet, il est évident qu’il sera disponible en anglais. Cela dépend aussi de l’éditeur. L’italien étant ma langue maternelle, cela me permet clairement de m’exprimer plus largement. Les jeux de mots, par exemple, ne se traduisent pas forcément bien dans d’autres langues. Je pense que cela dépend aussi de la région. Si je fais des bandes dessinées qui parlent de ce qui se passe autour de moi, il est plus facile de le raconter en italien. 

  • La semaine de la langue italienne est aussi l’occasion de mettre en valeur le plurilinguisme de la Suisse. Pensez-vous que ce soit une chance d’être sur un territoire avec autant de langues ? 

En grande partie, oui. C’est très enrichissant d’avoir la chance de faire partie d’un pays multiculturel et multilinguistique. Cela nous permet par exemple d’apprendre une deuxième ou troisième langue dès le plus jeune âge. On commence à apprendre le français au plus tard vers 7 ou 8 ans. Ensuite, on a l’allemand. Il y a aussi l’anglais qui est désormais enseigné beaucoup plus tôt que dans ma génération où c’était optionnel. Même si l’on est obligé de les apprendre, cela reste un gros avantage, surtout lors d’un voyage professionnel. D’un autre côté, cela peut être une barrière culturelle en plus d’être une barrière géographique. Un petit obstacle dans la communication dans un même pays. C’est un peu bizarre.

  • Une expression ou un mot en italien que vous n’entendez que dans la région du Tessin ?

Il y beaucoup d’« helvétismes  » très marrants. Par exemple, au Tessin, pour demander « Comment ça va ? », l’expression de traduit par « Comment ça se passe ? ». Si l’interlocuteur ne connaît pas cette dernière, il va demander « Qu’est-ce qui se passe quoi ? ».  

  • 3 mots en italien pour définir votre œuvre ?

“Identità” (identité), “Estetica” (esthétique) et “Contento” (content). Ce ne sont pas vraiment des mots pour définir mon travail, mais des termes dont j’aime bien tenir compte quand je réalise un projet. 

  • Votre planche La mule est d’ailleurs disponible en français, italien et en anglais. Est-ce compliqué de faire traduire vos bulles pour faire passer des messages ?

J’avais peur que ça ne soit pas très clair, mais l’équipe de traducteurs, coordonnée par Open Art Week et Lab619, a fait un sacré boulot. On est arrivé à traduire et je pense que cela marche très bien. Peut-être qu’il y a des messages plus difficiles à traduire, mais je pense qu’on arrive tout de même à exprimer un concept dans une autre langue.

  • Vous étiez également virtuellement présent lundi à la conférence de presse où vous aviez parlé en français. Selon vous, qu’apporte la langue française par rapport à la langue italienne et vice-versa ?

Je pense qu’il n’y a pas beaucoup de différences, car ce sont des langues latines avec la même origine. Il y a beaucoup de mots qui se ressemblent, qui veulent dire la même chose. Je ne pense pas que les différences soient au niveau du contenu. Personnellement, le français m’inspire quelque chose de plus intellectuel, pourrait-on dire. Il y a beaucoup d’aspects historiques, philosophiques. 

  • Quels conseils donneriez-vous à un jeune artiste qui souhaite démarrer dans ce métier ?

Lire et consommer beaucoup, ne pas avoir peur du jugement d’autrui et ne pas vivre uniquement de ce métier. C’est presque impossible. Je pense qu’il faut penser à son bien-être.

  • Un dernier coup de cœur artistique ?

Il y a « Le Désert des Tartares » de Dino Buzzati, que j’ai lu cette année complètement par hasard. L’histoire d’un groupe de personnes très isolées. C’en est presque prophétique.

Cette année, j’ai découvert la bande dessinée « Les filles de Salem », de Thomas Gilbert, qui décrit une chasse aux sorcières au XIXe siècle.

  • Vos projets ?

Des petits projets à droite et à gauche : une bande-dessinée et le design d’un jeu vidéo indépendant avec une petite équipe.

  • Le mot de la fin en italien ?

Ciao belli !

 

Exposition La Nuova Frontiera avec Open Art Week
Du 19 octobre au 19 novembre 2020
À l’Institut Culturel Italien de Tunis ou visitable en ligne