Rencontre avec Marco Civico, enseignant et chercheur à l’Université de Genève, à l’occasion de sa conférence à Tunis

Article, 19.09.2025

À l'occasion de la 25e édition des Journées européennes des langues, Marco Civico, collaborateur scientifique et chargé d’enseignement à l’Université de Genève, animera une conférence le 26 septembre à La Cité des Sciences de Tunis.

Dr Marco Civico
Dr Marco Civico © Marco Civico

Marco Civico participera le vendredi 26 septembre 2025 au séminaire « Le pouvoir des langues » à la Cité des sciences de Tunis, dans le cadre de la 25e édition des Journées européennes des langues initiées par EUNIC Tunisie (présidé par La Délégation générale Wallonie-Bruxelles en Tunisie), le Conseil de l'Europe Tunisie et l'Union Européenne en Tunisie. Collaborateur scientifique et chargé d’enseignement à l’Université de Genève, il animera à Tunis la conférence : « Comment identifier et mesurer économiquement la valeur du multilinguisme ? ».

Pouvez-vous vous présenter ?

Je m’appelle Marco Civico, je suis né en 1988 en Italie et je vis en Suisse depuis plus de onze ans ; c’est aujourd’hui vraiment ma maison.

Qu’en est-il de votre parcours académique ?

J’ai une formation en économie et en statistique, complétée par un doctorat en gestion du multilinguisme. Je suis collaborateur scientifique et chargé d’enseignement à l’Université de Genève, au sein de l’Observatoire Économie-Langues-Formation (Faculté de traduction et d’interprétation). J’enseigne également à l’Université de Turin en qualité de professeur invité.

Pouvez-vous nous présenter brièvement vos recherches sur les liens entre politique linguistique et économie du multilinguisme ?

Mes recherches portent sur l’économie des langues et les politiques linguistiques, que j’étudie à l’aide de méthodes statistiques et informatiques. Elles s’intéressent à l’intersection entre le multilinguisme, les politiques publiques et l’analyse économique. J’ai travaillé, entre autres, sur les politiques linguistiques d’urgence, l’impact des barrières linguistiques dans les campagnes d’information, les dynamiques entre langues majoritaires et minoritaires, ainsi que sur les propriétés statistiques du langage.

Le plurilinguisme est au cœur de l’identité et du fonctionnement de la Suisse. En Tunisie, plusieurs langues sont également parlées. En quoi le multilinguisme est-il un atout, mais aussi un défi, pour des sociétés comme la Suisse et la Tunisie ?

Le plurilinguisme, au niveau individuel, et le multilinguisme, au niveau sociétal, sont de grands atouts : ils favorisent l’ouverture culturelle, la cohésion sociale, et soutiennent aussi la compétitivité économique, y compris sous l’angle « marchand » (valeur des compétences linguistiques sur le marché du travail). Mais ils exigent une gestion attentive : sans politiques appropriées, ils peuvent conduire à l’isolement ou à la marginalisation de certains groupes. Et aujourd’hui, cette gestion est d’autant plus complexe que les sociétés évoluent dans des contextes de migrations, de globalisation et de circulation rapide de l’information.

Comment peut-on mesurer concrètement la valeur économique des compétences linguistiques pour les individus et pour les pays ?

C’est une question très vaste, sur laquelle on trouve des centaines d’articles scientifiques. Si l’on entend « concrètement » comme « quantifiable », on peut analyser, au niveau individuel, les effets des langues sur les salaires, l’employabilité ou la productivité, et même la créativité. Au niveau macro, on peut estimer l’impact sur le commerce, le PIB, l’innovation, et même sur la diplomatie ou la cohésion sociale, dimensions qu’on peut regrouper sous la notion de valeur non marchande.

En quoi l’apprentissage d’une ou plusieurs langues peut-il être un enrichissement personnel ?

Apprendre une langue, c’est élargir sa vision du monde et développer sa sensibilité aux autres ; cela renforce aussi la créativité et la capacité d’adaptation. Et il existe un aspect plus facilement quantifiable : de nombreuses études montrent que les compétences linguistiques ont un effet positif sur les rémunérations et les parcours professionnels. Comme l’a expliqué François Grin, il convient de distinguer la valeur marchande des langues (revenus, carrière) de leur valeur non marchande (plaisir de communiquer, accès aux cultures, participation citoyenne). 

Quels champs de collaboration entre la Suisse et la Tunisie identifiez-vous dans la recherche ou la politique linguistique ?

Les deux pays pourraient échanger sur des questions similaires : politiques d’enseignement des langues, intégration des immigrants à moyen et long terme, ou encore statistiques sur les usages linguistiques. Mais il est essentiel de tenir compte des différences structurelles : en Suisse, les langues officielles ont un statut constitutionnel, tandis qu’en Tunisie, l’arabe et le français occupent des positions complémentaires dans l’espace public.

Selon vous, quelles seront les langues clés du futur dans les échanges internationaux, et comment s’y préparer dès aujourd’hui ?

C’est une question où il faut accepter une part d’incertitude ! L’anglais restera probablement central, mais l’espagnol, l’arabe, le chinois, le français — et d’autres langues régionales ou nationales — garderont ou gagneront de l’importance selon les contextes. Le plus sûr est de développer de solides compétences plurilingues et la capacité d’apprendre de nouvelles langues tout au long de la vie.

Dans le cadre des Journées européennes des langues, vous participerez le 26.09 au séminaire « Le pouvoir des langues » à la Cité des sciences de Tunis. Pouvez-vous nous en donner un aperçu ?

Ce séminaire sera l’occasion de réfléchir au rôle des langues dans la société et dans l’économie. Mon intervention portera sur la façon d’identifier et de mesurer la valeur économique de la diversité linguistique, en lien avec les politiques publiques et les pratiques éducatives. Nous discuterons aussi des moyens de concilier préservation des langues, innovation et participation de tous dans un monde où la diversité linguistique s’accroît rapidement.