11.01.2018

Oratore: Pascale Baeriswyl

Monsieur le Conseiller fédéral,

Madame la Présidente du Grand Conseil du Canton de Berne,

Monsieur le Président du Conseil national de la recherche du Fonds national suisse,

Monsieur le Président du Conseil de la Fondation Latsis et les membres de la famille Latsis,

Excellences, Mesdames et Messieurs, 

Tout d’abord, j’aimerais très sincèrement féliciter M. Xile Hu pour le Prix Latsis national 2017, mais aussi pour son impressionnante carrière scientifique et ses excellents travaux de recherche sur la compréhension fondamentale de la catalyse. Monsieur le professeur, permettez-moi de vous exprimer ma profonde admiration. 

C’est lors de notre périple scolaire que même les non-scientifiques parmi nous avons appris que le système périodique est le fondement de la chimie. Il classe tous les éléments dans un ordre strict résultant de la structure interne des éléments eux-mêmes. Et c’est grâce à cette organisation naturelle que Primo Levi, écrivain et docteur en chimie, a pu ordonner les événements politiques de son temps, ce que lui-même appelait le chaos du monde. 

Il en va de même pour mon domaine d'activités, la diplomatie : l'analyse d’événements politiques peut avoir des bases scientifiques. C'est de cela dont j'aimerais vous parler. La science et la diplomatie peuvent interagir, en simplifiant beaucoup, à trois niveaux : ainsi, nous pouvons parler de science en diplomatie, de science pour la diplomatie, mais aussi de diplomatie pour la science.

Je me permettrai de vous donner quelques exemples pour montrer ce que j'entends exactement par là. Mais il est clair que l’interaction de la science et de la diplomatie ouvre des perspectives intéressantes. Elle n'est en même temps pas sans danger, ce dont je ferai également état avant de conclure par quelques réflexions sur notre coopération future. 

Permettez-moi de commencer par la science en diplomatie : La science en diplomatie consiste à introduire des connaissances scientifiques dans le discours politique afin d’en renforcer l’argumentation. Ainsi, ces contributions scientifiques peuvent nous fournir une base de discussion solide, mettre en évidence des approches novatrices et proposer des solutions permettant de réaliser les objectifs de la politique étrangère. 

  • Un exemple de science en diplomatie est l'accord que l’Iran a signé en mars 2015 avec l’Allemagne et les cinq membres permanents du Conseil de Sécurité des Nations Unies sur le programme nucléaire iranien, pour contenir le risque d’une nucléarisation militaire. Pour que l'accord sur l'Iran puisse voir le jour, il a fallu que des scientifiques fournissent des bases de discussion solides et mettent en évidence des solutions concrètes et réalisables. 

  • Un autre exemple de science en diplomatie est l'Accord de Paris sur le climat, signé en décembre 2015. Sur la base des preuves scientifiques du réchauffement climatique les parties à la négociation sont convenues de limiter l'augmentation de la température moyenne mondiale en dessous de 2° C par rapport au niveau préindustriel.

Dans le cas de l'accord avec l'Iran comme lors des négociations sur le climat, l'expertise scientifique a servi à orienter le discours politique et à fixer des objectifs contraignants sur le plan international. Elle a offert des pistes de solutions à des défis politiques importants pour l’humanité. La science a permis de compléter et de renforcer l'argumentation politique et ainsi de légitimer les prises de position en résultant. Primo Levi dirait : « Le chimiste en moi ne se satisfait pas d’affirmations hâtives. Il exige de solides recherches. » 

La science et la diplomatie se complètent d'une autre manière encore. La science pour la diplomatie consiste à tirer parti de la collaboration entre scientifiques pour nouer et cultiver des dialogues au-delà des frontières. Dans ce cas de figure, la science devient une sorte de passerelle. L'échange sur des sujets de recherche neutres et non politisés permet de faire dialoguer des acteurs qui, pour des raisons politiques ou autres ne se parleraient peut-être pas. Dans ce type d'interaction, la science et la diplomatie sont utilisées comme instruments de renforcement de la confiance. Permettez-moi, ici aussi, de vous donner deux exemples : 

  • SESAME, un laboratoire de recherche en Jordanie, est un exemple de collaboration scientifique au service de la diplomatie. Créé avec le soutien de la Suisse, entre autres, et sous les auspices de l'UNESCO, SESAME rassemble des scientifiques d'Égypte, de Jordanie, d'Iran, d'Israël, du Territoire palestinien occupé, de Turquie et de Chypre. Depuis mai 2017, ces chercheuses et chercheurs étudient les propriétés de matériaux très différents grâce à ce que l'on appelle le rayonnement synchrotron. Les résultats sont intéressants pour la chimie mais aussi pour d'autres domaines tels que l'archéologie, la biologie, la géologie, la médecine, la physique ou les sciences de l'environnement. Grâce à SESAME, les scientifiques d'une région qui subit de grandes tensions et crises peuvent échanger des idées et travailler ensemble, comme c’était par exemple aussi le cas au CERN pendant la Guerre froide. 

  • Un autre exemple de science au service de la diplomatie est celui des chouettes israéliennes, palestiniennes et jordaniennes. Le projet de Barn Owls Know no Boundaries, développé par l’Université de Lausanne et l’Université de Tel Aviv, vise deux objectifs. D’une part, il sert à préserver la nature : dans la plaine du Jourdain, des chouettes sont utilisées à la place des pesticides pour lutter contre les rongeurs. Cette approche écologique s’avère efficace : ces dernières années, les rendements agricoles ont augmenté de façon impressionnante. D’autre part, le projet sert à la promotion de la paix : la vaste plaine fertile du Jourdain s'étend entre Israël, la Jordanie et la Cisjordanie mais la nature ne connaît pas de frontières, les oiseaux passent d’un territoire à l’autre et contribuent ainsi à rassembler Israéliens, Palestiniens et Jordaniens autour d’un même projet. 

Les exemples de SESAME et des chouettes, tout comme l'accord iranien et les négociations climatiques, ont en commun le fait que la science est aussi utilisée pour poursuivre des objectifs de politique étrangère. 

La diplomatie scientifique ne devrait cependant pas avoir pour seule fonction de renforcer l'argumentation politique et d’utiliser les résultats de la recherche à des fins diplomatiques. Non, la diplomatie scientifique a d'autres missions, et notamment celle d’obtenir les meilleures conditions possibles pour la recherche, la science et l'innovation. Dans cet esprit, elle se met au service de la science. La diplomatie pour la science crée les instruments juridiques et les organes institutionnels nécessaires pour mener des activités de recherche internationale. Pour ce faire, elle adopte une approche descendante (top-down). Cette approche n'est cependant utilisée en Suisse que si les scientifiques ont besoin de formaliser leur coopération et ne parviennent pas à le faire de manière ascendante (bottom-up). 

  • Un très bel exemple pour cette approche, c’est le programme Horizon2020 : Ce programme-cadre de l’UE vise à offrir aux chercheuses et chercheurs d’Europe des conditions homogènes. L'accent est mis sur la mobilité des scientifiques et sur le libre échange des connaissances. Les chercheuses et chercheurs suisses – vous le savez mieux que moi - y participent activement. L'objectif de ce programme est d’édifier une société fondée sur la connaissance et l'innovation et de mettre en place une économie compétitive dans toute l'Europe. Cela nécessite non seulement des activités de recherche d’excellent niveau, mais également des conditions identiques pour tous. La science et la recherche fonctionnent mieux si elles ne sont pas limitées, si les acteurs peuvent établir leurs réseaux librement. On peut parler de « circulation des cerveaux sans frontière ». 

C’était peut-être à cette fonction de la diplomatie pour la science que faisait allusion cette réflexion de l'écrivain et prix Nobel Élias Canetti (un autre docteur en chimie) : « Toute question attend une réponse et celles qui n'en reçoivent pas sont comme des flèches tirées en l'air ». En ce sens, la diplomatie pour la science consiste à s'assurer que ces cibles soient placées de manière à ce que les flèches scientifiques puissent bien les toucher. 

Mesdames et Messieurs, 

Suivant la façon dont on associe les éléments chimiques, ils peuvent exploser. Cela vaut également pour la science et la diplomatie, dont la combinaison peut s’avérer détonante. Ce caractère explosif peut être dangereux, car pour paraphraser Elias Canetti, la machine à défaire les explosions attend encore d’être inventée. 

Il y a danger lorsque les arguments politiques présentés ignorent une base scientifique fondée ou quand les intérêts politiques fabriquent un monde qui les arrange. Je pense, par exemple, aux discussions sur la protection du climat : si nous ne prenons pas au sérieux les informations scientifiquement prouvées sur le réchauffement climatique, les conséquences pour notre planète et, en fin de compte, pour nous les êtres humains, peuvent être graves. 

L'interaction entre science et diplomatie peut devenir délicate lorsque la science est instrumentalisée par la politique, mais aussi, l’inverse. 

Mesdames et Messieurs, 

J'en arrive à ma conclusion : 

«For the first time in history, more people die from eating too much than from eating too little; more people die from old age than from infectious diseases; and more people commit suicide  than are killed by soldiers, terrorists and criminals combined.» 

Cette évolution, nous la devons non seulement aux travaux scientifiques, mais aussi aux efforts des diplomates et, enfin, à l’interaction entre la science et la diplomatie. Une fois de plus, je citerai Élias Canetti : « On ne sait jamais ce qui va se passer quand les choses changent. Mais sait-on ce qui va se passer si elles ne changent pas ? » 

Dans cet esprit, j'espère que la science et la diplomatie continueront de changer le monde ensemble…et pour le mieux. Pour réussir, les chercheuses et chercheurs doivent continuer à affronter les défis internationaux et se confronter aux enjeux de la coopération et de la concurrence. À vous, scientifiques, de nourrir le discours politique en traduisant vos résultats de recherches en termes accessibles au profane. C'est à vous de formuler vos découvertes et leurs tenants et aboutissants dans un langage qui soit intelligible pour nous, les diplomates. « Wie sag ich’s meinem Kinde », dit-on en allemand lorsqu’on réfléchit à un langage accessible pour tous. Peut-être que les scientifiques devraient communiquer encore plus selon la maxime : « Comment mieux expliquer à la politique et – dans une démocratie directe comme la nôtre - au grand public ?». 

La politique doit écouter la science – ou plutôt : elle ne peut pas se permettre de ne pas l’écouter. Parce que « Facts are stubborn things » comme le disait John Adams.

En somme, c'est à nous, scientifiques et diplomates, de trouver notre langue commune pour nous parler et je n’ai aucun doute que nous l’avons déjà et que cette conversation continuera à porter des fruits très précieux pour le futur de l’humanité. Et je remercie la famille et fondation Latsis qui avec son prix fait une précieuse contribution à ses efforts. 

Aujourd'hui, je me suis adressée à vous, public de scientifiques et politiques, en tant que diplomate. Et vous m'avez écoutée. Je vous en suis reconnaissante. Il faut bien sûr aussi que vous, les scientifiques, parliez aux diplomates et que nous vous écoutions. Je vous assure que nous le ferons très très volontiers. 

Je vous remercie de votre attention.


Ultima modifica 29.01.2022

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