Mesdames, Messieurs,
Chers amis de la communauté universitaire neuchâteloise,
« Vivre ensemble » : votre thème du jour sonne comme une évidence. Il brille comme les rayons du soleil d’un matin d’automne lumineux sur le lac de Neuchâtel.
Pourtant, vivre ensemble est un défi réel et essentiel de notre époque, de notre monde parfois brouillardeux et nuageux, désorienté et menaçant.
Bien vivre ensemble c’est le but même de l’action politique ; de celle d’aujourd’hui, en veillant à la prospérité et à la sécurité du pays, à la cohésion sociale et nationale. De celle de demain également, car pour faire de la politique, il faut aimer l’avenir, avoir une sorte de « coup de foudre discret » pour les enfants et leur monde d’après.
C’est d’ailleurs vraisemblablement ce coup de foudre que l’on ressent sans l’entendre qui m’a fait placer la jeunesse au cœur de la présidence du Conseil fédéral ; la jeunesse qu’on forme ici ; la jeunesse pour laquelle vous venez de faire ce qui est juste : lui donner la parole et la prendre au sérieux.
Car bien vivre ensemble, c’est aussi un des buts essentiels de la connaissance, de la formation et de la recherche académiques, de ce que vous faites dans cette merveilleuse maison qu’est cette Université de Neuchâtel. Vous préparez la future génération à affronter les défis par une bonne formation, par une lucide compréhension de notre société, de son passé, de ses perspectives, de son intelligence – de la tête et du cœur – à chercher des solutions d’avenir.
Vivre ensemble dans le monde que nous avons construit ne va pas de soi. Dans notre société toujours plus interconnectée, mais toujours plus individualisée, chacun peut être en contact avec la planète à travers des réseaux sociaux dont l’immédiateté est inversement proportionnelle à la profondeur de l’analyse ; et surtout inversement proportionnelle à la chaleur humaine. Notre monde a tendance à oublier qu’il faut du temps ; et le temps n’aime pas qu’on l’oublie…
Vivre ensemble aujourd’hui est donc un défi humain auquel toute l’Université, par ses multiples connaissances peut et doit contribuer. Elle peut apporter des réponses nouvelles, innovantes, comme la Suisse et Neuchâtel adorent le faire, des réponses souvent interdisciplinaires, des réponses où l’on conjugue les forces de la science et des humanités, où on les fait précisément… vivre ensemble.
Le titre décerné ce jour à Mme Margerethe Rosa Billerbeck le souligne : elle a contribué à la compréhension de notre passé - sans quoi on ne saurait agir au présent - et a lutté pour plus de vivre ensemble en favorisant la relève féminine dans nos Universités. Le titre attribué à Mme Yuko Harayama est aussi un signe du rôle des milieux académiques et de la force de l’interdisciplinarité. En analysant les systèmes éducatifs et les politiques de la formation elle travaille sur un des fondements de l’avenir – une des bases du « vivre ensemble ».
Mesdames, Messieurs,
Nous avons la chance de compter en Suisse sur un secteur de la recherche et de la formation parmi les meilleurs en Europe et dans le monde. C’est une chance pour la Suisse.
C’est aussi une chance pour l’Europe, car notre pays contribue de manière importante à tirer vers le haut la recherche européenne.
Tous ceux qui connaissent cette région de Neuchâtel, qui est ma « maison », là où l’ai le plus envie de « vivre ensemble », savent l’importance du rôle qu’y joue l’Université. Une institution modeste dans la taille, mais pas dans l’ambition – à l’image de toute cette région neuchâteloise et jurassienne à l’extraordinaire savoir-faire. Et je vais vous le dire comme je le ressens : l’Université de Neuchâtel contribue au vivre ensemble de la plus jolie ville du monde – et c’est quelqu’un qui voyage beaucoup qui vous le dit !
Mesdames et Messieurs,
Revenons à nos rayons de soleil de ce bel automne : pour que la science et la formation suisses et neuchâteloise restent aussi ensoleillées, nous devons pouvoir compter sur les réseaux européens. Une recherche de pointe ne peut avoir de succès aujourd’hui qu’avec de fortes connexions internationales. Des accords bilatéraux forts et durables dans la recherche et la formation entre la Suisse et l’UE sont un atout essentiel et d’intérêt mutuel.
Ce message est de mieux en mieux compris hors de nos frontières aussi, comme j’ai encore eu l’occasion de le voir jeudi avec le président François Hollande qui a d’emblée salué la force d’innovation de la Suisse et les liens que cela peut apporter entre nos pays, pour l’avenir de notre continent et pour notre planète.
La force d’innovation de la Suisse est une source de solutions aux défis globaux, donc pour l’avenir des êtres humains. La force d’innovation de la Suisse est aussi une source d’activités et d’emplois européens. S’en passer, ce serait marquer un autogoal continental.
Voilà une des raisons pour lesquelles le Conseil fédéral se bat pour que la Suisse puisse demain à la fois assurer une meilleure maîtrise de la migration - comme le peuple l’a demandé le 9 février – et dans le même temps maintenir ouverte et même rénover la voie bilatérale entre la Suisse et l’Union européenne.
Mission difficile, mais possible. Pour y parvenir, il nous faut travailler dur ; chercher le dialogue - parfois même le forcer un peu ; chercher l’union nationale – parfois même la créer ; orienter le pays et le continent sur la volonté de vivre ensemble plutôt que sur celle de casser des ponts.
Il nous faudra aussi passer de nombreux obstacles. Le premier intervient le 30 novembre : une acceptation de l’initiative dite « Ecopop » n’aurait rien à voir avec le brillant soleil de cet automne. Cela signerait la mort subite de la voie bilatérale, puisque l’initiative est absolument incompatible avec la libre circulation des personnes. Ses contingents s’appliqueraient, certes progressivement, mais dès le 1er janvier 2015. Ce qui mettrait gravement en danger à la fois la compétitivité de nos entreprises et l’excellence de nos capacités de recherche, donc à terme la prospérité du pays et la qualité de notre « vivre ensemble ».
Mesdames et Messieurs,
Devant une initiative, on peut avoir toutes les opinions. Mais au moment de décider, je crois qu’il faut toujours en revenir à l’essentiel, à notre capacité d’humanité, à notre capacité à se poser les vraies questions, à se regarder droit dans les yeux. Faut-il, ici, vraiment considérer les êtres humains comme un problème ou plutôt comme le cœur battant des solutions du futur ? Faut-il vraiment voir les nouvelles générations comme des enfants de trop ? Ou comme un espoir de notre futur vivre ensemble…
Mesdames et Messieurs,
« Vivre ensemble » est donc un défi pour la Suisse, pour notre société ; c’est aussi un défi pour toute la planète, pour toutes les autres sociétés.
En fait, s’agissant de vivre ensemble, la Suisse – vue de l’étranger - fait souvent office de modèle et de constructeur de ponts. Notre pays a su fonder des institutions et une culture politique, économique et sociale qui intègre, qui tient compte des minorités, bien loin du concept trop souvent désastreux selon lequel « the winner takes it all ».
Le fédéralisme et la démocratie directe, la consultation et la concordance sont chacun l’un de ces rayons de soleil qui font briller notre société. Comme le partenariat social également, ou la proximité entre le peuple et ses autorités ; et ceci, pas seulement sur le quai de la gare de Neuchâtel …
Bref, notre pays est une mosaïque de cultures, de langues et de religions qui a su, au fil des siècles, faire de ces différences une force, en intégrant plutôt qu’en divisant.
Lors de mes voyages je vois à quel point cette force de la Suisse est une richesse inestimable et une ressource trop rare. De nombreuses crises qui secouent la planète s’expliquent précisément par la difficulté à « vivre ensemble ».
La mosaïque sans cesse chancelante du Proche orient, à Gaza mais aussi au Liban, en Syrie, en Iraq. Plus au Sud les tensions en Egypte, l’instabilité en Libye, les drames au Sud-Soudan, en Centrafrique ou au Mali, les atroces enlèvements au Nigéria, …
L’Europe n’est pas épargnée – où la guerre est hélas revenue en cette année 14 qui nous rappelle de terribles souvenirs. L’Ukraine, le plus grand pays entièrement en Europe, ce pays dont le nom signifie « frontière »…, est depuis le début de l’année secouée par les spasmes des difficultés à vivre ensemble. Comment réapprendre à respecter chacun lorsque l’on passé plus de vingt ans à célébrer l’oligarchie ? Comment tenir compte des sensibilités et des cultures locales et régionales lorsqu’on a tout sacrifié à la centralisation ? Comment vivre ensemble des deux côtés lorsqu’on se met dans une situation où il faut choisir entre l’Est et l’Ouest ? L’Ukraine « pays frontière », est-elle condamnée à être une coupure ou pourrait-elle être une couture ?
La Suisse a un intérêt fort et une responsabilité réelle à lutter contre ces crises. Car l’instabilité du monde est une menace pour notre prospérité et pour notre sécurité.
La Suisse agit à la lueur d’un autre rayon de soleil de ce pays, sur la base de sa Constitution, pour aider à « vivre ensemble » - en paix - dans le monde. Nous le faisons par notre politique des droits de l’homme et de la sécurité humaine, en nous engageant pour le développement économique, pour la santé, pour l’éducation. Nous agissons par l’aide humanitaire et au développement qui représente un franc par jour et par habitant de notre pays. Un franc que le Conseil fédéral veut d’ailleurs investir utilement pour aider les plus pauvres, pas en en gaspillant 10% comme le demande l’initiative Ecopop.
La Suisse agit aussi pour plus de sécurité coopérative. Elle préside cette année l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) qui regroupe 57 Etats. Un lieu de dialogue entre Etats qui fonctionne selon la règle, contraignante, de l’unanimité. Un lieu qui vise à favoriser la confiance, les échanges, le vivre ensemble, la construction de ponts entre Est et Ouest. Lors de la conférence ministérielle de Bâle, début décembre, la Suisse veut initier une réflexion sur la crise profonde de la sécurité en Europe et la manière d’y répondre. Sur le comment mieux « vivre ensemble » entre les espaces euro-atlantique et eurasiatique. Histoire de ne pas revivre une autre histoire que l’on croyait enfouie dans le passé ; histoire de reconsolider les bases de notre continent.
Mesdames et Messieurs,
A l’heure de la mondialisation, vivre ensemble, c’est aussi lutter contre l’horreur d’Ebola. Lutter contre un mal qui fauche toute une région d’Afrique et qui suscite des inquiétudes, souvent irraisonnées, jusqu’ici.
Un vaste défi pour les Etats et les humanitaires qui doivent trouver une réponse efficace et coordonnée. J’ai une profonde admiration pour les acteurs présents sur place qui se battent pour la vie et la dignité. Vivre ensemble, lorsque la mort est si présente, c’est peut-être le plus bel acte du courage des hommes, des femmes et des enfants…
Le Conseil fédéral a décidé cette semaine un effort exceptionnel en triplant l’aide de la Suisse contre Ebola qui passera, si le Parlement l’approuve, à 29 millions de francs. La santé publique est un des enjeux majeurs du vivre ensemble dans la société globalisée du XXIe siècle. La Suisse se bat pour que ce soit aussi l’un des objectifs principaux du développement durable, de l’agenda 2015 qui doit être approuvé l’an prochain par les Nations Unies. Comme dans d’autres domaines, la Suisse en particulier par Genève joue un rôle central pour relever ce défi de la santé.
M. Thomas Zeltner, avec qui j’ai eu le plaisir de collaborer dans ce qui me paraît presque une autre vie, au Département fédéral de l’intérieur, contribue à la fois à l’analyse et à l’action dans ce domaine : par le travail qu’il a déployé à la tête de l’Office fédéral de la santé publique, par ses travaux académiques et par son engagement au sein de l’Organisation mondiale de la santé basée à Genève.
Mesdames et Messieurs,
Au nom des personnes qui reçoivent aujourd’hui un doctorat honoris causa, j’aimerais remercier l’Université de Neuchâtel pour cet honneur.
Et j’aimerais vous dire ce que j’ai au fond du cœur pour cette Université. Elle n’est pas la plus grande. Peut-être est-elle-même la plus petite. Mais elle a la plus belle des grandeurs : celle de la volonté commune, celle de l’ouverture aux autres, celle de la conviction pour un monde meilleur, celle de l’humanité qui croit en la jeunesse ; celle aussi du temps que l’on respecte, de ce temps qui jongle de la réflexion à l’action, de ce temps qui compte, qui passe en comptant beaucoup, de ce temps qui se transforme en un espoir sans fin.
A Neuchâtel, si on le veut, on peut bien vivre ensemble. Et c’est aussi grâce à cette institution universitaire. Elle est la volonté d’une région, une volonté de vivre ensemble, une volonté humaine qui a traversé des générations. Alors je forme un seul vœu : qu’elle brille toujours comme les rayons de soleil sur le lac de Neuchâtel.
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