09.05.2017

Orateur: Pascale Baeriswyl

Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs,

Selon la mythologie grecque, Zeus, le père des dieux et des hommes, prit la forme d’un taureau blanc pour enlever la jeune Europe, qui laissa son nom à notre continent. Peut-être est-ce cette origine au caractère criminel, l’enlèvement d’Europe, qui explique de manière symbolique pourquoi l’histoire de notre continent a été marquée durant des siècles par des guerres sanglantes, aux conséquences planétaires.

Aussi est-ce avec le plus profond respect que nous nous remémorons aujourd’hui, en cette Journée de l’Europe, la déclaration de Robert Schuman, mais aussi la cérémonie du 25 mars 1957. Il y a 60 ans donc, les chefs d'État et ministres des affaires étrangères de six pays d’Europe se réunissaient à Rome au Capitole pour signer les textes fondateurs de l’Union européenne, les fameux Traités de Rome. Moment unique dans l’histoire de l’Europe, cet acte solennel a jeté les bases du processus d’intégration européenne et marqué le début d’une paix durable sur le continent.

Mais stop. Nous savons aujourd’hui que les représentants des pays réunis à Rome ce jour-là ne signèrent qu’une liasse de feuilles blanches. La Suisse n’y est d’ailleurs pas totalement pour rien. Que s’est-il passé exactement en 1957 ? Parti de Val Duchesse, près de Bruxelles, en direction de Rome, quelques jours seulement avant la cérémonie de signature, le train transportant les brouillons des traités fut tout d'abord bloqué à Bâle par un douanier suisse un peu trop zélé. Malgré les protestations de Bruxelles, le fonctionnaire européen chargé d’accompagner le précieux convoi fut prié de poursuivre son voyage dans un train de voyageurs jusqu’à Milan, où il était censé ensuite retrouver le wagon contenant les documents. À Milan, nouveau coup du sort : le fameux wagon avait disparu et ce n’est qu’après de longues recherches qu’il fut retrouvé sur une voie de garage. D’où le retard avec lequel les documents sont arrivés à Rome. Mais après cela, il y eut encore toute une série d’obstacles : des femmes de ménage jetèrent par mégarde les projets d’accord qui jonchaient le sol, puis les étudiants engagés pour le travail de dactylographie se mirent en grève à la dernière minute pour réclamer une augmentation de salaire. Résultat: le jour J, les traités n’étaient pas prêts.

Cette anecdote nous montre que, dès la première heure, le projet européen fut marqué non seulement par un esprit pionnier et une pensée visionnaire, mais également par l’art de l’improvisation et le pragmatisme. Tous ces ingrédients ont joué et jouent encore aujourd’hui un rôle important. Cette anecdote illustre aussi le goût des Suisses pour la conformité aux règles dans le contexte européen et montre que les Helvètes ne se laissent pas forcément impressionner par les protestations de Bruxelles...

Mesdames, Messieurs,

Les résultats du processus d’intégration lancé il y a 60 ans sont sans commune mesure. L’idée de réunir, au sein d’une union économique, sociale, culturelle et aussi politique, des pays qui se sont livrés maintes guerres est absolument unique dans toute l’histoire du monde.

Et après 60 ans d’existence, la conclusion est claire: cette expérience politique est une réussite! Cela fait désormais plus d’un demi-siècle que les grandes puissances européennes vivent dans la paix. Nous en sommes les témoins directs. Pour l’Europe, c'est une grande victoire et une victoire durable. Les mots d’Abraham Lincoln prennent ici tout leur sens: «C’est détruire mes ennemis que d’en faire des amis».

Le bilan de la construction européenne ne se limite pas, bien évidemment, à la paix. Citons, parmi ses succès:

  • l’aide à la démocratisation des pays de l’ancien bloc de l’Est après la fin de la guerre froide;

  • la croissance économique, la prospérité et la protection sociale, d’un niveau sans équivalent dans le monde;

  • la solidarité de l’UE, qui fournit 70% de l’aide publique au développement.

En résumé: l’Union européenne est une superpuissance. C’est tout d'abord une superpuissance «soft»: puissance économique mondiale, donateur le plus généreux dans le monde, l’UE joue un rôle de premier plan dans la politique internationale de paix et de sécurité et se pose comme le garant et le défenseur mondial des droits de l’homme, de la démocratie et de l’état de droit. Tout cela, tout ce que l’UE et l’Europe tout entière ont réussi à faire et à devenir au cours de l’histoire, doit rester présent dans nos mémoires, et ce précisément maintenant, à l’heure où le consensus de la communauté des États apparaît fragile, où le droit international est mis à mal et où de plus en plus d’armes, toujours plus dangereuses, tombent entre les mains de dictateurs toujours plus nombreux. L’Europe doit rester unie.

Mesdames et Messieurs,

Je ne vous apprends rien en vous disant que depuis quelques années, le discours sur l’UE, en Suisse mais également dans de nombreux pays membres de l’Union, est dominé par les critiques et les problèmes: peur de la crise économique, vague de réfugiés, terrorisme, conflits aux portes de l’Europe et poussée des mouvements nationalistes. Il semble que la gestion de crise soit devenue la nouvelle normalité – the new normal.

Pour le dire clairement: la Suisse mise beaucoup sur une UE forte et capable d’agir. Pourquoi? Parce qu’il est dans son intérêt de poursuivre ce partenariat économique constructif. Mais pas seulement. L’autre raison est que la Suisse est profondément européenne: tant sur le plan culturel, démographique et social que sur le plan des valeurs. L’écrivain suisse alémanique Peter von Matt l’exprimait ainsi: «La Suisse est notre patrie mais la patrie de la Suisse est l'Europe» – «die Heimat der Schweiz ist Europa.»

Ce lien trouve également son expression dans le fait que la Suisse est confrontée aux mêmes thématiques et aux mêmes changements. J’irais même jusqu’à affirmer que les «zones à problèmes» de l’intégration européenne surgissent à chaque fois un peu plus tôt dans le débat politique suisse: sentiment d’éloignement chez les citoyens, inquiétude quant à la perte de souveraineté nationale, malaise latent découlant de la libre circulation des personnes, dosage adéquat du principe de subsidiarité. Dans le discours européen également, la Suisse joue un rôle de sismographe, grâce notamment à notre système de démocratie directe.

Dès lors, il va de soi que nous suivons avec une grande attention les discussions au sein de l’UE, et en particulier celle portant sur l’état actuel et l’avenir de l’Union menée sur la base du Livre blanc de la Commission européenne. Bien évidemment, c'est aux 27 États membres de l’UE qu’il revient en premier lieu de mener cette discussion. Je me permets toutefois d’exprimer une remarque, qui reflète le point de vue d’un État non membre: les scénarios du Livre blanc ont un défaut: ils ne mentionnent à aucun moment la question des relations entre l’UE et ses voisins européens.

Pour moi, il est clair que, dans un environnement régional marqué par les défis et les incertitudes, les relations de l’Union avec ses partenaires européens traditionnels devraient prendre encore plus d’importance. Le Brexit vient conforter cette idée. Et dans ce contexte, la Suisse fait toujours figure pour l’UE de partenaire proche, solide et fiable; un partenaire – écoutez bien – qui veut améliorer et approfondir encore la coopération, dans les domaines où cela est faisable et souhaitable.

Pour rappel:

  • Aucun autre État tiers que la Suisse peut se prévaloir d’avoir conclu avec l’UE un aussi grand nombre d’accords.

  • La Suisse est le troisième partenaire commercial de l’UE (derrière les États-Unis et la Chine), son deuxième partenaire dans le commerce des services et son deuxième investisseur étranger.

  • Inversement, l’UE est de loin le premier partenaire économique de notre pays: l’UE est la destination de 55% de nos exportations. Et le volume de nos échanges avec le seul Land du Bade-Wurtemberg est plus élevé que celui réalisé avec la Chine.

  • L’UE et la Suisse travaillent aussi étroitement dans divers domaines comme la recherche, l’environnement, la sécurité, la migration, la politique de paix ou encore l’aide au développement. 

Nous pouvons donc affirmer, à juste titre, que la Suisse et l’UE entretiennent une relation très spéciale, au bénéfice des deux parties.

Mesdames et Messieurs,

L’amitié, c’est quand on se connaît et qu'on s'apprécie malgré tout. Cela veut dire qu’entre amis, le temps n’est pas toujours au beau fixe. À la suite de l'acceptation de l’initiative «Contre l’immigration de masse» le 9 février 2014, les relations entre la Suisse et l’UE ont été soumises à un important test de résistance. Par moment, tous les dossiers ont été bloqués.

Le 16 décembre 2016, notre parlement a entériné une mise en œuvre de cette initiative compatible avec l’Accord de libre circulation de personnes. Il s’agit là d’une confirmation sans équivoque de la classe politique suisse à la voie bilatérale, Cette dernière a été renforcée par la non-tenue d’un référendum sur la loi d’application.

Cette décision parlementaire a laissé ainsi le champ libre à une normalisation de nos relations, comme l’ont déclaré, le 6 avril dernier à Bruxelles, le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker et la présidente de la Confédération Doris Leuthard. Toutes les négociations vont pouvoir reprendre. Les décisions et résultats concrets obtenus ces prochains mois nous diront si le test de résistance est terminé.

Mesdames et Messieurs, j’en viens ainsi à mon dernier point:

Il ne faut pas laisser passer une bonne crise. L’Union européenne l’a d’ailleurs prouvé à maintes reprises. Nous devrions donc tirer parti de la dynamique qui opère de part et d’autre pour trouver une solution aux problèmes et améliorer encore la coopération.

La voie bilatérale suisse a fait ses preuves tant du côté de l’UE que du côté suisse. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Mais cette approche a également dévoilé au fil des ans certaines faiblesses, que l’on pourrait assimiler à des maladies de jeunesse. Le fait est qu’il y a longtemps qu’un nouvel accord sur l’accès au marché n’a pas été signé. De même, l’actualisation au fil du temps des accords en vue de les mettre en conformité avec le droit communautaire, qui évolue en permanence, est parfois ardue. L’accord sur la suppression des obstacles techniques au commerce, qui couvre au moins un quart des exportations à destination de l’UE et devrait être révisé depuis des années, en est l’exemple le plus récent.

Si les accords ne sont pas actualisés régulièrement, de nouvelles entraves au commerce se développent et des vides juridiques se créent: la voie royale de la politique européenne de la Suisse s’érode et menace de devenir une piste cahoteuse, voire une impasse.

Que pouvons-nous faire ? Le dispositif d’accords bilatéraux doit être amélioré sur le plan institutionnel pour être à même de garantir sur le long terme une sécurité juridique, une concurrence loyale et un accès au marché aussi peu discriminatoire que possible. En langage informatique, on parlerait d’un  update. Sans cette «update», le «système d’exploitation» de la voie bilatérale perd en efficacité et en performance. Il s’agit donc, dans les négociations, de parvenir à un accord institutionnel pour consolider et continuer à développer la voie bilatérale, une sorte de Voie bilatérale version 2.0.

Les négociations sur ces questions sont en cours. Je ne tiens donc pas à entrer dans le détail des solutions envisageables. Vous connaissez cependant tous l’aversion qu’a la Suisse pour la «reprise automatique de l’acquis communautaire». Soyez donc sûrs que les procédures de décision constitutionnelles et les droits populaires de la Suisse seront maintenus. Depuis 2014, la Suisse négocie avec l’UE sur la base d’un mandat élaboré après consultation des cantons et des commissions de politique extérieure. Nous nous y tiendrons.

Certains points délicats restent à régler. Je suis cependant confiante quant à la voie que nous suivons. Nous prendrons le temps nécessaire pour trouver des bonnes solutions. Ensemble. Avec nos partenaires de l’Union européenne et, comme le veut la tradition suisse, en associant étroitement le parlement et tous nos concitoyens et concitoyennes. Le partenariat entre la Suisse et l’UE est une entreprise solide, qui s’inscrit dans la durée. Il n’est jamais bon de faire les choses à la va-vite, même si on se sent pris par le temps. Comme se plaisait à le dire Churchill à son chauffeur: «Ne vous hâtez pas, nous sommes pressés.»

Je vous remercie de votre attention.


Dernière mise à jour 29.01.2022

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