Une politique suisse dynamique en matière de restitution d’avoirs illicites
La Suisse a signé un accord de restitution trilatéral avec le Pérou et le Luxembourg. Pionnière dans la restitution d’avoirs illicites de personnes politiquement exposées à l’étranger, la Suisse n’a eu de cesse de développer sa pratique depuis une trentaine d’années. Cette restitution à hauteur de 16,3 millions de dollars (du côté suisse) permettra le financement de projets péruviens qui renforceront l’état de droit et la lutte contre la corruption au Pérou.
Les procédures de restitution sont souvent longues. Elles comprennent plusieurs étapes importantes entre le blocage préventif des avoirs et l’accord de restitution.
Cela fait plus de trente ans que la Suisse s’engage dans la lutte contre la corruption et dans la restitution d’avoirs d’origine illicite de personnes politiquement exposées à l’étranger (PPE). La Suisse a mis en place un dispositif solide de prévention, afin d’empêcher que des avoirs d’origine illicite ne soient déposés en Suisse. Elle a aussi développé un arsenal de mesures de répression pour identifier, bloquer, confisquer et restituer les avoirs de PPE. Ces mesures de répression nécessitent une coopération entre l’État spolié et la Suisse, dans le cadre de procédures qui se révèlent souvent longues et complexes.
La Suisse a une expérience solide
C’est en 1986, et pour prévenir les usages abusifs de sa place financière, que la Suisse réalise un virage décisif. Le Conseil fédéral bloque les avoirs du dictateur philippin Ferdinand Marcos, destitué quelques jours plus tôt. Ce blocage est sans précédent. Il est ordonné à l’initiative de la Suisse, sans requête préalable des Philippines. 18 ans et 60 jugements plus tard, 684 millions de dollars sont restitués aux Philippines.
Avec le Pérou, l’histoire commence au début des années 2000. Avant même la chute du président Alberto Fujimori, certaines banques suisses bloquent de leur propre initiative les comptes de Vladimiro Montesinos Torres, chef du service de renseignement péruvien sous la présidence d’Alberto Fujimori. Le Ministère public zurichois ouvre une procédure pénale, ordonne le blocage des comptes et en informe spontanément les autorités péruviennes. Sur la base des informations transmises, le Pérou formule plusieurs demandes d’entraide judiciaire. Une étroite coopération judiciaire est établie entre le Pérou et la Suisse. Entre 2002 et 2006, la coopération entre les deux pays permet la restitution au Pérou d’un montant total de 93 millions de dollars. Suite à la conclusion récente d’autres procédures de confiscation au Pérou dans ce même complexe, la Suisse est aujourd’hui en mesure de lui restituer environ 16,3 millions de dollars supplémentaires.
Au fil du temps et des restitutions d’avoirs de PEP d’origine illicite, la Suisse a créé, développé, puis perfectionné une pratique innovante. D’autres États se sont inspirés de la pratique suisse, ce qui a permis l’émergence – au niveau international – de principes et de bonnes pratiques en matière de restitution d’avoirs de PEP. Ces principes et bonnes pratiques offrent un cadre pour la négociation d’accords de restitution. Ils préconisent notamment qu’un dialogue doit être mis en place entre l’État spolié et l’État qui restitue, que l’argent restitué doit bénéficier à la population de l’État spolié et que les mécanismes existants doivent être privilégiés pour éviter des duplications. Ainsi, dans plusieurs accords récents de restitution, la Suisse et l’Etat spolié se sont associés avec des organisations internationales telles que la Banque mondiale ou les Nations Unies, afin de bénéficier de leurs structures déjà implantées dans l’Etat spolié.
Les avantages d’un accord trilatéral
La particularité de l’accord conclu avec le Pérou et le Luxembourg tient au fait que la Suisse s’associe avec un autre État prêt à restituer des avoirs de PEP d’origine illicite, le Luxembourg. Le fait que deux États prêts à restituer des avoirs unissent leurs forces a plusieurs avantages: le fait d’additionner les montants à restituer permet de financer des programmes à plus large échelle; au lieu que la Suisse et le Luxembourg négocient chacun un traité séparé avec le Pérou, un seul traité trilatéral est négocié (rationalisation); les trois partenaires bénéficient lors des négociations des expériences de chacun (efficacité); ensemble, les trois États font front unis pour lutter contre la corruption et envoient un signal politique fort.
La restitution d’avoirs au bénéfice des populations spoliées
Actuellement, dans le monde, seul un nombre restreint de pays restituent les avoirs de PEP d’origine illicite comme le fait la Suisse: elle a non seulement pour pratique de les restituer, mais elle s’engage aussi concrètement pour que ces avoirs ne viennent pas alimenter à nouveau le cercle de la corruption. La Suisse négocie des solutions de restitution qui améliorent les conditions de vie de la population de l’État spolié, qui renforcent l’état de droit dans cet État et qui contribuent à lutter contre l’impunité.
La corruption a, de fait, des effets dévastateurs sur le développement et la stabilité politique, sociale et économique d’une nation. Elle a, en conséquence, un impact certain sur sa vie démocratique et sur le degré de pauvreté de sa population. Consciente des effets néfastes de la corruption et dans la continuité de son engagement en faveur des objectifs fixés par l’Agenda 2030 – une des priorités de la politique extérieure de la Suisse – la Confédération s’engage pour lutter contre la corruption et pour renforcer le recouvrement et la restitution d’avoirs volés. Il en va de la cohérence de sa politique extérieure.
Trois programmes péruviens financés par les avoirs restitués
Les fonds restitués au Pérou seront, par ailleurs, alloués à trois programmes mis en œuvre par le Pérou et visant à renforcer les institutions péruviennes impliquées dans la protection de l’état de droit, la lutte contre la corruption et le blanchiment d’argent, la saisie d’avoirs et la lutte contre le crime organisé. Ces programmes bénéficieront au pouvoir judiciaire, au Ministère public et au Ministère de la justice et des droits de l’homme péruviens. Ils permettrons concrètement d’optimiser la formation du personnel actif dans la lutte contre la corruption et de soutenir les efforts de digitalisation et de standardisation des procédures.
Ces programmes ont pour objectif de permettre aux citoyens du pays d’avoir accès à une justice moderne, efficace et prévisible et seront soumis à un monitoring, afin d’assurer la qualité de la mise en œuvre des programmes et le respect des termes de l’accord de restitution.
Coopération internationale et négociations essentielles
Depuis de nombreuses années, la Suisse a bâti un dispositif de lutte solide contre la corruption, qui permet le blocage, la confiscation et la restitution d’avoirs de PEP d’origine illicite. Mais la coopération indispensable avec l’État spolié n’a pas toujours été simple. En cause, parfois, un système judiciaire défaillant, mais parfois aussi, un manque de volonté politique de coopérer avec la Suisse.
En ce qui concerne le Pérou, dans le cadre de l’affaire Montesinos, la coopération a été autrement plus aisée. En 2016, conscient de la portée hautement symbolique pour la population péruvienne des avoirs de l’ancien chef du service de renseignement, le Ministre péruvien de la Justice et des Droits de l’Homme prend l’initiative de proposer à la Suisse de négocier la manière dont les avoirs seront utilisés après leur restitution. En 2017, le Pérou met sur pied un groupe de travail multisectoriel regroupant les différentes autorités péruviennes concernées par la restitution. Ce groupe de travail a pour mission d’assurer la coordination interne nécessaire au bon déroulement des négociations de restitution des avoirs se trouvant en Suisse et au Luxembourg. L’existence de ce groupe de travail a grandement facilité le processus de négociation et est un exemple concret de bonne pratique. Au cours des négociations, un véritable partenariat a été créé entre le Pérou, la Suisse et le Luxembourg. Ces trois pays partagent en effet les mêmes intérêts: s’assurer que le crime ne paie pas et que la population spoliée bénéficie finalement des avoirs restitués.
L’arsenal juridique suisse en quatre dates importantes
1981: La loi fédérale sur l’entraide internationale en matière pénale autorise la Suisse à engager une entraide judiciaire avec tous les pays, même ceux avec lesquels elle n’a pas conclu d’accord bilatéral. C’est un premier geste fort en faveur de la lutte contre la corruption dans le monde.
1997: La loi fédérale concernant la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme oblige les banques suisses à identifier et vérifier systématiquement l’identité des propriétaires des valeurs patrimoniales déposées en Suisse. Il s’agit d’une loi préventive par laquelle la Suisse tente, par des moyens juridiques, de protéger sa place financière contre tout usage abusif.
2003: Alors que la Suisse intensifie sa coopération avec plusieurs pays d’Afrique, d’Asie et des Amériques, la Convention des Nations Unies contre la corruption est conclue. Pionnière en la matière, la Suisse prend une part active à l'élaboration de ce texte en présidant le groupe de travail chargé de traiter le chapitre de la Convention consacré au recouvrement d’avoirs. La convention est entrée en vigueur pour la Suisse en 2009.
2016: La loi fédérale sur le blocage et la restitution des valeurs patrimoniales d’origine illicite de personnes politiquement exposées à l’étranger entre en vigueur le 1er juillet 2016. Elle règle notamment le blocage, la confiscation et la restitution d’avoirs de PEP d’origine illicite, dans les cas dans lesquels la coopération sur la base de la loi fédérale sur l’entraide internationale en matière pénale n’aboutit pas.
Le dispositif de restitution constitue un pilier majeur de la politique suisse relative à la lutte contre les fonds d’origine illicite. La Suisse a ainsi restitué jusqu’à présent quelque deux milliards de dollars américains, soit davantage que n’importe quelle autre place financière.
- Duvalier, Haïti, (6.5 millions USD) en cours
- Turkmenistan, 2020 (1.3 millions USD)
- Abacha II, Nigéria, 2017 (321 millions USD)
- Kazakhstan II, 2012 (48 millions USD)
- Angola II, 2012 (43 millions USD)
- Kazakhstan I, 2007 (115 millions USD)
- Angola I, 2005 (24 millions USD)
- Abacha I, Nigéria, 2005 (700 millions USD)
- Marcos, Philippines, 2003 (684 millions USD)
- Montesinos I, Pérou, 2002 (93 millions USD)