14.10.2014

Bern, 14.10.2014 - Allocution du président de la Confédération Didier Burkhalter à l'occasion de la Conférence annuelle de la Division Sécurité Humaine du DFAE - Seule le texte prononcé fait foi

Madame Nyanjura,

Merci pour le témoignage que vous venez de donner. J’aimerais exprimer mon estime pour le courage et la force intérieure dont vous avez fait preuve pendant toutes ces dernières années. Si, après tout ce que vous avez enduré, vous pouvez venir lancer un appel pour mettre fin aux souffrances subies par les enfants dans les conflits armés, nous – la Suisse, la communauté internationale – devons répondre à votre courage par des actes. Votre témoignage est un appel à agir pour défendre la dignité de l’humanité à travers la dignité des enfants-soldats.

Vous faite partie des 24'000 à 38'000 enfants enlevés depuis 1986 en Ouganda qui ont été utilisés comme soldats, porteurs et esclaves. Comme vous l’avez exposé, les filles associées aux forces ou groupes armés peuvent être contraintes de se marier et sont exposées à des actes de violence inimaginables. Souvent, des groupes armés refusent même après s’être engagés à libérer les enfants de laisser partir les filles en les retenant captives en tant qu’«épouses»; ceci était votre cas.

En 2004, vous avez risqué votre vie pour échapper à la brutalité de la «Lord’s Resistance Army» et avez pu suivre un programme de réhabilitation avec l’organisation World Vision. Malgré le lourd fardeau que vous portez, vous avez poursuivi des études et obtenu votre Bachelor universitaire cette année. Je vous présente mes plus sincères félicitations et tout mon respect!

Nous devons tout faire pour protéger la jeunesse des horreurs de la guerre. Nous devons nous unir pour agir, car des enfants sont bien trop souvent victimes ou même acteurs des conflits. C’est à juste titre que le prix Nobel de la paix a été décerné cette année conjointement à la jeune Pakistanaise Malala Yousafzaï et à l'Indien Kailash Satyarthi, pour leur combat contre l'oppression des enfants et des jeunes et pour le droit de tous les enfants à l'éducation.
 
A 17 ans, la jeune Malala Yousafzaï devient la plus jeune Prix Nobel de la paix. Nous devons faire confiance à la jeunesse et permettre aux jeunes générations de réaliser leurs aspirations, d’avoir des perspectives est une tâche fondamentale dans l’action politique! Construire ce monde de demain, pour la jeunesse, par la jeunesse et avec la jeunesse.

Mesdames et Messieurs les représentants du Parlement,
Mesdames et Messieurs les représentants du gouvernement cantonal,
Madame la Procureur de la CPI,
Mesdames, Messieurs,
Chers amis

Quelles que soient les époques et les cultures, l’histoire militaire nous a toujours rapporté l’existence d’enfants associés à des forces ou groupes armés. Il est bouleversant de constater qu’au 21ème siècle, ce phénomène d’un autre temps soit toujours d’actualité dans une grande majorité des conflits armés actuels.

Certes, l’humanité a fait beaucoup pour protéger l’innocence de l’enfance et la dignité de ses plus jeunes membres. Toutefois, des centaines de milliers d'enfants souffrent toujours des effets des conflits armés. Ils sont touchés de plein fouet par les crises actuelles en République centrafricaine, au Soudan du Sud, à Gaza et ailleurs. Au Nigéria, Boko Haram attaque systématiquement les écoles. En Irak, l'ampleur et la brutalité des violences à l'égard des civils ont atteint au cours des dernières semaines des niveaux sans précédent. En Syrie, des groupes armés non-étatiques recrutent quotidiennement. Comble du cynisme, certains groupements, notamment les terroristes de «l'État islamique» autoproclamé, recrutent des enfants par le biais de campagnes de promesse de «scolarisation» gratuite. Celles-ci comprennent le maniement des armes et l’instruction à des tâches d’une horreur sans nom, notamment des missions suicides.

On estime qu’au moins 250'000 enfants servent actuellement dans des forces armées étatiques ou des groupes armés. Certains sont enlevés ou enrôlés de force. D’autres sont poussés à s’enrôler en raison du manque de perspectives dues à la pauvreté, la maltraitance et la discrimination. D’autres encore cherchent à se venger d’actes de violence commis contre eux ou leur famille. Peu importe les motivations individuelles; chacun de ces 250'000 cas est un scandale humain. La guerre brise leurs rêves et détruit leurs perspectives. C’est à nous d’agir afin que ces 250'000 enfants puissent avoir un avenir, un avenir qui est aussi celui de leur communauté, de notre communauté. C’est à nous d’agir pour défendre la dignité de l’humanité à travers la dignité de ces enfants qui n’ont pas choisi leur sort.

Plan d’action pour éviter l’abus d’enfants dans le cadre du phénomène des enfants-soldats

Face à l’immense étendu et à la nature bouleversante du problème, nous devons nous poser les questions suivantes:

- Comment rendre un peu de leur dignité volée à ces dizaines de milliers d’enfants?
- Comment venir à bout des violations commises envers les enfants?
- Que peut faire la Suisse?

L’action est un impératif. La Suisse agit. La sécurité et les droits de ceux qui sont le plus vulnérables est une priorité pour notre pays. Voilà pourquoi la Suisse s’engage pour la protection des civils dans les conflits armés. Elle le fait dans le cadre d’une stratégie adoptée en 2009 déjà et retravaillée l’année passée.

La Suisse s’engage par exemple pour la création de mécanismes efficaces pour renforcer le respect du droit international humanitaire et a lancé en collaboration avec le CICR une initiative qui poursuit ce but. La lutte contre l’impunité constitue à cet égard un élément important – raison pour laquelle la Suisse s’engage d’une façon conséquente pour le renforcement de la Cour pénale internationale.

La protection des plus faibles est un élément central de la stratégie. Voilà pourquoi la Suisse va s’engager à l’avenir plus fortement dans la lutte contre le recrutement et l’emploi d’enfants soldats. Le plan d’action qui est présenté aujourd’hui, souligne la volonté politique de la Suisse de s’opposer avec force au phénomène des enfants-soldats. Car tous les enfants ont le droit d’être des enfants. C’est là le message de notre plan d’action.

Celui-ci est s’articule autour de trois axes:

1. Renforcer les règles qui protègent les enfants
2. Renforcer la protection des enfants dans le cadre multilatéral
3. Renforcer notre engagement sur le terrain

J’aimerais développer brièvement chacun de ces points.

Le droit international humanitaire accorde une protection particulière aux enfants dans tous les types de conflits armés. L’enrôlement d’enfants de moins de 15 ans ou leur participation immédiate aux hostilités est interdit en droit international pénal et en droit international humanitaire. S’y ajoute la protection conférée par le protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l'enfant, concernant l'implication d'enfants dans les conflits armés. Celui-ci fixe à 18 ans l'âge minimum pour le recrutement obligatoire et la participation directe aux hostilités.

La Suisse s’engage pour la ratification universelle du Protocole facultatif et œuvre afin que les Etats se tiennent à leurs engagements et respectent l’âge minimal de recrutement fixé à 18 ans.

Une telle ratification universelle est une étape importante. Mais il n’est pas suffisant. Les groupements armés non-étatiques représentent un sérieux défi: sur les 59 acteurs armés qui violent actuellement les droits des enfants, 51 sont des groupes armés non-étatiques. Le droit international n’est à lui seul pas assez efficace dans ce domaine. Car les acteurs non-étatiques ne se sentent souvent pas concernés et pas liés juridiquement, bien que le droit humanitaire les lie également. Il faut donc trouver des solutions pour mener les groupements armés non-étatiques à respecter les droits des enfants. Une solution passe par le dialogue.

Celui-ci a montré son utilité à plusieurs reprises. La Suisse va donc poursuivre ses efforts dans ce domaine. Elle collabore à cet effet avec des partenaires expérimentés, tels le CICR ou l’Appel de Genève.

Au niveau multilatéral, la Suisse s’engage en faveur de prises de décisions visant une meilleure protection des enfants et pour la mise en œuvre des mécanismes multilatéraux. Elle le fait dans les débats ouverts au Conseil de sécurité, dans des dialogues interactifs de l’Assemblé générale ou du Conseil des droits de l’homme mais également lors de la Conférence Internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. Elle continuera à influencer les débats en ce sens. La Suisse met par ailleurs un expert suisse à disposition du bureau du Représentant spécial du Secrétaire général pour les enfants et les conflits armés et entretient un dialogue régulier à haut niveau avec le Représentant spécial.

Le troisième axe est l’aide sur place. Lorsque les enfants reviennent dans leurs communautés, terrorisés, traumatisés, brisés, le besoin de protection est primordial. Il est alors nécessaire de leur accorder un soutien spécifique. La réinsertion est décisive pour le bien-être et pour l’avenir de l’enfant et de sa communauté. Notre plan d’action prévoit des programmes éducatifs, de formation professionnelle et de réhabilitation psychosociale afin d’éviter que les enfants retombent sous l’influence de forces ou de groupes armés. Pour la Suisse, il est particulièrement important de trouver le moyen de répondre aux besoins des filles enlevées et devenues des esclaves sexuelles.

Les jeunes filles, souvent oubliées, représentent environ 40% des enfants recrutés. Elles subissent des entraînements rudes, sont obligées d’utiliser les armes et de se battre au même titre que les garçons. Dès leur plus jeune âge, elles sont victimes de violences et d’esclavage sexuel. Le viol est utilisé comme une arme de guerre, comme un outil de punition, de soumission et d’humiliation.

La réinsertion des filles peut s’avérer particulièrement difficile car elles sont souvent rejetées par leurs propres communautés. Très souvent, alors même que ce sont elles qui ont le plus besoin de soins et de services, les filles sont souvent «oubliées» par les programmes de sensibilisation et de réinsertion.

Nombre d’entre elles sont réticentes à se faire connaître, craignant d’être identifiées comme membres d’un groupe armé ou comme «épouses de la brousse» et de voir leurs enfants qualifiés de «bébés rebelles». Le plan d’action prévoit de prêter davantage attention à leurs besoins au moyen de programmes efficaces de prévention, de démobilisation, de sensibilisation et de réinsertion. C’est un devoir essentiel, car aussi longtemps que ces filles devront vivre en portant seules le fardeau de leur humiliation, c’est l’humanité toute entière qui sera atteinte dans sa dignité.

Les programmes prévus par la Suisse ouvrent aux enfants le long chemin pour reconquérir leur jeunesse, retrouver leur humanité et développer leur contribution à la société. Ils sont aussi un antidote à la violence ambiante et donnent à ces enfants la capacité de penser de façon positive.  Ces programmes les aident à construire et à reconstruire leurs rêves ou leurs espoirs.

Le plan d’action s’inscrit donc dans une volonté de contribuer à prévenir et atténuer les conséquences de l’instabilité et des conflits dans le monde.

Renforcer le respect du droit passe obligatoirement par la punition des coupables. Pour cette raison, la Suisse s’engage de manière déterminée à combattre l’impunité. Elle le fait dans le but de prévenir ces crimes qui font honte à l’humanité et dans le but de rendre justice aux victimes de tels actes.

Que fait la justice pour les enfants soldats?

Mesdames, Messieurs

Le recrutement d’enfants de moins de 15 ans ainsi que leur participation directe aux hostilités fait partie des violations graves du droit international humanitaire. Les Etats doivent non seulement s’abstenir de commettre de telles violations, mais également enquêter et poursuivre tous les auteurs de ces violations.

La Cour pénale internationale (CPI) et les tribunaux pénaux internationaux ad hoc et mixtes jouent un rôle-clé dans la lutte contre l'impunité. Le Statut de Rome inclut dans la liste des crimes de guerre relevant de la compétence de la CPI le fait de faire participer activement à des hostilités les enfants de moins de 15 ans ou de procéder à leur enrôlement.

Les verdicts prononcés en 2012 par les juridictions internationales contre le chef de guerre congolais Thomas Lubanga et l’ancien président du Liberia Charles Taylor représentent un progrès significatif. Ces mesures envoient un signal très fort: le recrutement d’enfants est un crime de guerre que l’humanité n’est plus prête à tolérer. Les auteurs de violations contre des enfants seront trouvés, arrêtés et devront en répondre.

La Suisse s’engage de manière déterminée à combattre l’impunité et apporte tout son soutien à la CPI. Cette cour permet une avancée majeure dans la lutte contre l’impunité, la promotion et le respect du droit humanitaire et des droits de l’homme.

Le soutien politique à la CPI est très important. La Suisse se mobilise par exemple, dans le cadre d’entretiens bilatéraux, pour que d’autres pays adhèrent au statut de Rome et propose, à cette fin, son aide sur le plan technique. Elle formule aussi des recommandations en ce sens au sein du Conseil des droits de l’homme de l’ONU.

Nous sommes honorés d’avoir Madame la Procureur de la CPI parmi nous aujourd’hui. Merci, Madame la Procureur d’avoir pris de votre temps précieux pour être présente aujourd’hui et de nous présenter vos objectifs et les plus grands défis auxquels vous faites face pour combattre l’impunité des crimes commis envers les enfants. Nous vous félicitons de votre travail important.

Malgré tous les efforts déployés, certaines violations graves qui affectent les enfants lors de conflits armés restent encore trop souvent sans conséquences. Il est primordial que l’accès à la justice et la lutte contre l’impunité soient améliorés au niveau national et local. Ces progrès doivent aller main dans la main avec le système international de la justice.

Traitement du passé et prévention

Mesdames, Messieurs,
Dans les sociétés meurtries par la guerre, la promesse d’un avenir meilleur pour la jeunesse passe aussi par une confrontation avec ce passé trouble et douloureux. Affronter le passé, lutter contre l’impunité afin de rétablir la confiance, est essentiel pour construire un lendemain. La Suisse a développé des actions systématiques et cohérentes pour traiter du passé. Celles-ci sont applicables lorsque des violations massives des droits de l’homme et du droit humanitaire international ont eu lieu.

Il est indispensable que les devoirs des Etats et les droits des victimes soient identifiés dans la lutte contre l’impunité – le droit de savoir, droit à la justice, droit à la réparation et garantie de non-répétition.
 
La Suisse soutient les gouvernements et les acteurs de la société civile engagés dans ces processus longs et complexes. Elle conseille aussi des médiateurs engagés dans un processus de paix. Les services de la Suisse en matière de traitement du passé sont sollicités, entre autres, en Colombie, aux Philippines, dans les Balkans, et en Afrique francophone.

La protection des enfants passe aussi par la prévention. La prévention du recrutement d’enfants par des forces ou des groupes armés est le plus efficace lorsqu’elle s’inscrit dans une stratégie à long terme qui ouvre des perspectives aux jeunes. Les jeunes sont souvent frustrés en raison de l’absence de perspectives professionnelles et d’accès aux services de base. Pour remédier à cette frustration, il est important de leur offrir des voies en matière d’éducation, de formation et d’emploi. La Suisse dispose d’une longue expérience dans l’appui de structures éducatives portées et appuyées par les communautés locales. Plus largement, la Suisse fourni un effort constant pour renforcer les capacités de résilience des sociétés, de leurs institutions et leurs capacités à gérer les conflits de manière politique et non-violente. Dans ce contexte la Suisse soutien par exemple le fonds mondial pour la résilience et la participation des communautés (FMRPC). Ce fond constitue une innovation destinée à soutenir les initiatives locales visant à lutter contre tout type d'extrémisme violent.

Conclusions

Mesdames, Messieurs,

A un âge où un enfant devrait aller à l’école, où il devrait faire des découvertes, des rêves et apprendre mille choses pour la vie, les enfants-soldats sont arrachés de leur communauté, abrutis, confrontés au cauchemar de la guerre et soumis à la violence. Au lieu d’apprendre à lire, ils apprennent à manier des armes, à tuer. Au lieu d’apprendre à être libre, ils sont réduits au travail forcé. Ils sont mutilés, traumatisés, brisés – ce qui affecte profondément leur identité future. Ils sont privés de leur dignité et avec eux, c’est toute l’humanité qui perd un peu de la sienne.
 
La tragédie des enfants soldats nous impose d’agir. D’agir pour eux. Mais aussi d'être déterminés et impitoyables avec les auteurs de ces crimes. Quel honte que le témoignage d’un officier qui disait «les enfants-soldats sont idéaux parce qu’ils ne se plaignent pas, ils ne s’attendent pas à être payés et si vous leur dites de tuer, ils tuent».

La question des enfants-soldats est complexe, honteuse, indigne. Malgré tout, il y a de l’espoir. Espoir qu’un jour nous puissions vivre dans un monde où tous les enfants jouiront de tous leurs droits. Espoir qu’ils puissent grandir loin des horreurs et de la violence de la guerre. Espoir de pouvoir vivre la jeunesse qu’ils méritent. La Suisse poursuivra avec détermination son combat contre le phénomène des enfants soldats jusqu’à ce que cet espoir devienne réalité.


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Dernière mise à jour 29.01.2022

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